Culte : MARIE ET LES GARÇONS

// 31/01/2015

Par La rédaction

Afin de présenter sa première réédition chez nos grands amis de Gonzaï, Rectangle a demandé à Eric Tandy, membre des Olivensteins, de raconter l’histoire d’un autre groupe de la scène Punk française ayant trop de classe pour son voisinage : Marie & Les Garçons.

Ce sont les meilleures histoires de France de ces années-là ; celles de quelques isolés dans les grandes villes de province qui finissaient toujours par se rencontrer. Il suffisait de se balader dans un lycée que l’on ne fréquentait plus guère avec Raw Power, Loaded ou Hunky Dory sous le bras, de connaître par cœur chaque phrase de Je chante le Rock électrique, devenu sa référence secrète, d’être habillé en noir avec des jeans ridiculement serrés en bas ou de porter par tous les temps des lunettes de soleil 100% plastique trouvées dans un vieux stock italien pour que les complicités avec quelques semblables se nouent. L’ennui paraissant du coup un peu moins pesant. A Rouen, à Rennes, Trou-sur-Seine ou Trou-sur-Loire et dans quelques rares lieux un peu mieux informés d’un pays ringardisé par le boogie Rock et par Ange en couverture de Best, c’était au départ d’abord une question d’attitudes. Avec les moyens du bord et des bricolages vestimentaire Do it Yourself d’avant l’ère Kings Road, on faisait tout pour se sentir ailleurs : obligatoirement dans une mégapole crasseuse, décadente, violente et donc forcément romantique … Les moins complexés se mettant à jouer de la guitare. L’intro de "I’m Waiting for The Man" ou de "No Fun " ressassée cent fois mais jamais vraiment réussie.

A Lyon c’était bien sûr la même chose. Son seul disquaire correct, Musicland, son groupe de rock lourd vedette, Ganafoul, et sa poignée de lycéens différents des autres qui comme le raconte Patrick Vidal, chanteur et à l’origine bassiste de Marie et les Garçons, "s’étaient trouvés une proximité, une famille avec le Velvet Underground et la Factory. " La suite est prévisible, les cinq appellent d’abord leur groupe Femme Fatale, jouent bien sûr du Velvet, picorent dans Nuggets, dans Bowie, dans Roxy Music et se trouvent des similitudes obligées avec la première mouture des Modern Lovers. « I say Roadrunner once, Roadrunner twice », en 1976 c’est un peu le "Johnny B. Good" des jeunes gens cultivés, discrets et élégants… « I’m in love in Modern Moonlight. » Leur différence, c’est aussi Marie Girard, leur chanteuse "à la Nico" qui va vite se mettre à la batterie. Comme Moe Tucker évidemment. Quant aux paroles en français, langue pas vraiment naturelle quant on lit Burroughs, fantasme sur New York et se délecte des sons de ferraille, c’est Dashiell Hedayat qui en a donné les clés à Patrick Vidal. Comme quelques autres, dans le pays de la belle phrase sans swing ou de la vulgarité en Perfecto, c’est en écoutant Obsolete qu’il a compris que certains mots lorsqu’ils étaient servis par le bon phrasé pouvaient s’écarter de l’infâme chanson dite à texte ou de la variété à tendance rock (ou l’inverse), ce poison tricolore tellement répandu à la fin des années 1970.

Leur nom définitif, Marie et les Garçons, donc, inspiré par un "garçons sauvages" gribouillé sur les murs de leur local de répétition, c’est Marc Zermati qui l’a suggéré. L’activiste à boots pointues de Skydog Records et de l’Open Market, passage obligé pour chaque petit provincial un peu éveillé montant acheter les bons disques à Paris, les fera d’ailleurs jouer en août 1977 au second festival punk de Mont-de-Marsan, à la même affiche que The Damned, Police et Clash… En cette fin d’après-midi, Marie, Vidal, qui est passé à la guitare, Erik Fitoussi (guitare aussi) et Jean-Marc Vallod (basse) s’en tirent plutôt bien. C’est leur premier concert.

Mais en fait, ça ne sera pas chez Skydog que sortira (en décembre 1977) le premier 45T d’un désormais quatuor qui a été rejoint par un nouveau bassiste Jean-Pierre Charriau, mais chez Rebel Records, monté par Michel Esteban qui avec son fanzine Rock News, co-rédigé avec son amie Lizzy Mercier Descloux, se fait le chantre de la scène new-yorkaise d’alors. Il reproduit dans les pages les premières affiches des Heartbreakers encore avec Richard Hell, connaît Patti Smith, tient aussi, dans le quartier des Halles à Paris, Harry Cover, une boutique de T-Shirts dont la cave sert de lieu de répétitions. Mais c’est dans un studio d’enregistrements du sud de Paris, et malgré l’incompétence habituelle d’un ingénieur du son maison ("les guitares sont trop fortes ! ça sature ! on entend pas bien les paroles ! "), que trois chansons,"Rien à dire", "A bout de souffle" et "Mardi soir", sont dignement alignées sur la bande.

Marie et les Garçons sont aussi intéressants sur scène. L’enregistrement de leur premier concert parisien au théâtre Mouffetard en décembre 77, qui clôt cette réédition, le prouve de manière fort touchante. C’est d’ailleurs dommage qu’en dehors quelques gigs évènementiels ( à la Nuit Punk de l’Olympia en juillet 1978 ou au MIDEM !) le groupe ait été assez peu vu. Il se produira devant beaucoup de monde dans la région lyonnaise mais limitera ses sorties au sud de la Loire. Et rarement dans de bonnes conditions (les festivals et les premières parties de rockers bourrins ne sont pas forcément les meilleures occasions pour distiller de la sensibilité )

Mais heureusement il y aura aussi - et enfin ! - New York pour de vrai avec un concert au CBGB en mars 1978 et l’enregistrement d’un 45T deux titres "Attitudes" et "Re-Bop" produit par John Cale. Une rencontre, avec un mixage qui décontenancera au départ ses auteurs ("Elle est lourde la batterie, non ? "), parfaitement réussie qui aurait pu aboutir sur un succès plus large si le single avait été pressé à plus de 2000 copies et avait été correctement distribué. "Re-Bop" avec ses paroles minimales et sa tournerie entêtante exemplaire accrochait obligatoirement ceux qui l’entendaient… Même le Melody Maker, pas forcément supporter de la french touch d’alors (ce que l’on comprend), en avait dit du bien. "Re-Bop" tube pour initiés de bon goût aurait tellement mérité plus.

Mais c’est aussi à New York, au cours de l’enregistrement d’un premier album aux idées ambitieuses, puisqu’il devait opposer grosse production Disco et expérimentations minimalistes ("à la Residents" si l’on se réfère à Patrick Vidal, morceaux qui clôturent la Face A de cette réédition), que l’histoire pendra fin. Là, pendant l’hiver 1979, Marie ne suit pas bien le nouveau beat des Garçons, Marie s’en va… Il ne restera plus que Garçons.

Eric Tandy.

Réédition en janvier du LP de 1980 dans la collection Feedback de Gonzai Records. Sortie du EP numérique “Face Cachée“ regroupant 5 morceaux inédits du groupe.

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