Mark Kramer, le gourou US du son indé 90's

// 25/09/2014

Par Benjamin Schoos

Benjamin Schoos a interviewé le culte et énigmatique producteur américain Kramer. L'interview est parue une première fois en 2009 sur le site www.pop-rock.com. Flashback.

Souvent confondu, pas toujours connu, Mark Kramer, cet homme de l’ombre de l’indie rock US, n’en est pas moins l’un des producteurs les plus influents de ces 25 dernières années, ayant sans doute participé à plus de 300 albums. Patron du label culte new yorkais Shimmy Disc, ingénieur du son à la Knitting Factory, sa griffe sonore est inimitable et a eu une empreinte majeure sur la vague noisy déferlant début 90 sur les college radios américaines. Bassiste pour Ween, Butthole Surfers et Mike Watt, on l’a également vu produire et parfois même découvrir Daniel Johnston, Palace, Pussy Galore, Low, Half Japanese, Moe Tucker, King Missile, Bongwater, Shockabilly, The Fuggs, White Zombie, Allen Ginsberg, Yo La Tengo , Gwar... Mark Kramer a même façonné le son d’un très gros tube international : Girl You’ll be a Woman Soon, reprise de Neil Diamond par Urge Overkill, passé un moment complètement inaperçu avant de cartonner sur la B.O. du film Pulp Fiction. Qui s’en souvient ?

Les Inrockuptibles ont un jour parlé de toi comme du « Stanley Kubrick de la musique indépendante ». Que penses-tu d’une telle comparaison et quel est ton rapport au cinéma, tant américain qu’européen ?

Dès que l’on me compare à un cinéaste que j’adore, mon cœur s’emballe, c’est très naturel. Tout aussi naturellement, je suis bien encore davantage flatté si quelqu’un me parle de Robert Bresson ou de Jean-Pierre Melville, en plus de Kubrick. L’origine géographique des films m’importe peu, de même que je n’ai pas vraiment de préférence par rapport à la nationalité des auteurs. L’effroyable vérité, comme en musique, c’est que tout ce qui compte vraiment dans le cinéma, c’est l’expérience que tu retires du film. La langue que parlent les acteurs, quelles montagnes ou quelles artères urbaines sont filmées... Ca n’a pas d’importance. Tout ce qui compte pour moi, c’est l’amour et ce que le film m’apprend de l’amour. Il n’y a rien qui ne m’approche autant de cette idée que les réalisations de John Cassavetes, quelqu’un que j’ai découvert entièrement par accident. C’est le lot des plus belles choses qui puissent nous arriver dans la vie. Raconte tes plans, tes attentes, à la vie, elle va se marrer une semaine durant et tu ne retrouveras la paix que lorsqu’elle aura trouvé quelqu’un d’autre de qui rigoler.

Connais-tu le chef d’œuvre de culture belge C’est Arrivé Près de Chez Vous ? Quel est ton rapport à ce pays, sachant que tu as produit des groupes locaux tels que Perverted By Desire et UFO goes UFA et que tu as mixé Jacques Duvall ?

J’ai été l’un des premiers à voir Man Bites Dog aux Etats-Unis, traîné au cinéma par mon ami Penn Jillette, qui était tombé dessus par hasard le jour avant. Il voulait vraiment que je voie ça par moi-même, refusant de m’en raconter quoi que ce soit, ne me laissant même pas regarder l’affiche et les photos à l’entrée de la salle. C’est un grand film, que tout le monde devrait voir et je l’ai donc une première fois vu sans rien en savoir. Ce fut une grande chance de vivre l’expérience de cette façon, de découvrir qui était Ben et de le voir évoluer de cette façon, se transformer en quelqu’un d’autre. Très chanceux, vraiment. De Belgique, je ne connais qu’un seul trou de cul. Il s’appelle Johann et travaille pour le grand chorégraphe Mark Morris, qui a un moment dirigé le Ballet Royal de Belgique. En 2003, à New York, j’ai travaillé genre 3 mois pour Morris en tant que Live Sound Producer et j’avais donc à supporter au quotidien les débilités alcooliques de ce Johann. J’ai pris sur moi tout ce que je pouvais, jusqu’à un jour orchestrer une erreur impardonnable permettant à ce type de me virer sans que cela ne cause le moindre problème direct à Mark Morris, ses danseurs ou le spectacle en lui-même. Malgré mon amour pour ces gens, j’étais très heureux de ne plus jamais à voir ce trou de balle de Belge de Johann ! Sinon, je sais aussi que la Chimay est la meilleure bière du monde, une excellente source de fierté pour chaque belge...

As-tu une idée du nombre de disques que tu as pu produire et mixer ? Peux-tu nous expliquer en quelques mots ton approche, ta philosophie, de la production ? Qui sont tes héros dans ce domaine ? Phil Spector ? Joe Meek ?

Je n’ai absolument pas la moindre idée, vraiment, du nombre de disques que j’ai pu produire, mixer ou masteriser. Ma philosophie ? PHILO, en grec, signifie AMOUR. La philosophie, littéralement, c’est donc l’étude de l’amour. Cette définition conditionne mon approche des choses. Bien sûr que j’aime Joe Meek et Phil Spector mais aussi Chas Chandler et Glyn Johns et George Martin et tellement d’autres. J’ai aussi un respect énorme pour Jon Brion et Carter Burwell. Brian Eno, lui, a très certainement complètement changé ma façon de penser la production quand j’ai pour la première fois entendu Here Come The Warm Jets et Taking Tiger Mountain. Ces disques sont comme des bibles pour moi. Pas tant par leur technique qu’en référence aux sentiments qu’ils m’ont procuré lors de leur découverte. La façon dont les choses sont faites, je n’estime personnellement pas cela tellement important, tout ce que les soi-disant grands producteurs peuvent bien faire en studio. Le résultat est une chose mais le plus passionnant, c’est ce qui arrive aux gens durant le travail, comment ils vivent le processus. Ressentir à quel point je change après avoir travaillé avec un artiste, à quel point l’artiste change après avoir travaillé avec moi. Ce qui arrive aux gens, c’est bien davantage important que la musique, ou même l’art.

Qui sont les artistes que tu as produis qui ont réellement influencé ta propre musique et ta philosophie de vie ? Es-tu toujours en contact avec Daniel Johnston et Adult Rodeo ?

Adult Rodeo s’est installé à New York, a eu un bébé et s’occupe maintenant de différents projets musicaux. Daniel Johnston, je viens de terminer un nouveau de ses projets, titré The Hyperjinx Four. J’y suis producteur, arrangeur et aussi l’un de ces « 4 », jouant de la plupart des instruments. Dès que je trouverai le temps d’aller au Texas l’enregistrer chez lui, je produirais également un nouvel album pour Daniel, très vite j’espère. Enregistrer brut sur place et ensuite travailler l’instrumentation et les arrangements chez moi, comme je l’ai fait sur l’album Exaltation Of Larks de Dot Allison, que je considère être l’une de mes grandes réussites, à côté d’un autre disque que je viens de terminer à Edinburgh, pour un groupe du nom de Ambulances, un truc vraiment incroyable. Je travaille aussi lentement, très lentement, sur mon prochain album solo, titré The Brill Building, qui sortira sur Tzadik, le label de John Zorn. Ce sera mon premier album solo entièrement composé de tubes, qui datent tous des grands jours du Brill Building, à New York. Je viens de terminer la chanson Paradise, une reprise de Phil Spector et Harry Nilsson, sur laquelle chante Daniel Smith (Danielson Family). Ce sera la dernière chanson de l’album. Je commence toujours par la fin. John Cage disait que la chose la plus importante à propos d’une chanson, c’est comment elle débute et comment elle se termine. Le reste est simple.

Tu es un très bon bassiste. As-tu commencé par jouer du post-punk new-yorkais ?

Non, je n’ai jamais fait partie de cette scène punk/noise dite No New York. A l’époque, je jouais exclusivement avec John Zorn. Ensuite, avec Eugene Chadbourne, on a créé Shockabilly, qui est né des cendres des Chadbournes. Je viens d’en remasteriser les disques pour les sortir exclusivement en download sur Second Shimmy, mon petit label. Comme bassiste, je crois que je n’ai jamais été meilleur que dans un groupe nommé B.A.L.L, qui n’a tenu que 3 ans, jusqu’en 1990. Ca, c’était un putain de grand groupe !

Les disques que tu sortais sur Shimmy Disc ont été énormément joués sur les radios universitaires américaines, à l’époque très prescriptives en termes de musique indépendante. Internet a considérablement changé la donne depuis. Que penses-tu de l’évolution du business ?

Rien. Pas la moindre opinion. Je me fous totalement de comment la musique est achetée et vendue et le fait qu’il n’y ait jamais eu de vente significative sur mon label est l’évidence même que ce sujet ne m’intéresse pas. Je n’en ai vraiment rien à foutre et pas un seul artiste n’a quoi que ce soit à faire sur mon label s’il veut que sa musique se vende. C’est triste, mais c’est la stricte vérité.

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