Cuculte-La-Praline #01

// 20/04/2015

Par Serge Coosemans

Si dans la longue histoire du rock belge, il existe quelques cultes bien répertoriés (Jacques Duvall, Les Tueurs de la Lune de Miel, La Muerte, Channel Zero, Neon Judgement..), il y en a d'autres qui sont un peu oubliés, un peu davantage pris pour des reliques d'un temps passé, alors qu'ils méritent pourtant autant une passion actuelle toujours fiévreuse qu'une réhabilitation massive. Voici cinq exemples de cultes pas cuculs à cultiver...

Cuculte-La-Praline #01 Luc Van Acker : The Ship (1984)

Trublion de Tirlemont, Luc Van Acker passe dès 1981 pour le wonderboy du post-punk flamand. Il se fabrique des maxis à la maison, du genre hargneux, incantatoire et tapageur, un peu dans la mouvance Pop Group/Slits, qu'il vend ensuite lui-même à différents disquaires européens, sur place, au porte-à-porte. « C'était le meilleur moyen d'étrenner mon permis de conduire », fanfaronne-t-il plus tard à la presse. En 1984, il obtient un deal d'EMI-Belgium pour enregistrer un album, qui se touille dans d'excellentes conditions et avec du beau monde en studio : la chanteuse américaine Anna Domino, avec qui il signe plusieurs titres du disque, Blaine Reininger de Tuxedomoon, Dave Allen de Schriekback, Brian Nevill de Pig Bag, David Rhodes du Peter Gabriel Band, Ian Caple aux petits boutons, ainsi que Jean-Marie Aerts de TC Matic en renfort caisse. Il en vend environ 10.000 exemplaires, surtout en Flandres et aux Pays-Bas. A échelle belge, c'est donc un succès. Presque pop.

Le tube sur The Ship, c'est Zanna, un duo avec Anna Domino qui est au fil des ans devenu un véritable classique en Flandres, dont il existe désormais d'horribles reprises, y compris en flamand. Apaisé, joli, jazzy, c'est un morceau qui trompe sur le reste de la marchandise. The Ship dégage en effet principalement une ambiance moite, plutôt méchante. Luc Van Acker y hurle comme un possédé sur du white funk graisseux aux entournures, parcouru par une vibe africaine de pacotille. C'est un album qui s'inscrit fort bien dans une certaine mouvance du milieu des années 80, le post-punk funky, ici toutefois nettement plus proche du tapage brut des Anglais énervés de Shriekback et Pop Group que du trip séduisant à la Talking Heads/Gang of Four. C'est un album sale, fiévreux, rentre-dedans, pas forcément amical, et quand les morceaux sonnent vraiment pop, cela tient presque de l'accident. Je ne critique pas ça, bien au contraire. Tout cela en fait justement un grand disque, un peu malade, étrange, presque pervers. Presque parfait, donc.

I Love You but I've Chosen Darkness

Vu les 10.000 exemplaires vendus, The Ship aurait pu être un tremplin vers le succès pop massif pour Luc Van Acker mais, comme il l'explique sur les notes de pochette de la réédition de 2005, il ne lui a fallu que 56 concerts dans la foulée du disque pour en avoir déjà complètement marre. Lessivé, assez à l'Ouest, il sabote en quelques mois seulement sa carrière de pop-star new-wave flamande naissante. En 1985, The Ship est coulé et Luc Van Acker part déconner aux Etats-Unis avec les délicieusement abominables Revolting Cocks, groupe provocateur où gigotent alors aussi Al Jourgensen de Ministry et Richard 23 de Front 242. C'est un choix complètement assumé. Par la suite, on ne reverra en effet plus très souvent Luc Van Acker pop et (presque) propret sur le devant de la scène. Depuis 2005, il a bien de temps à autre rejoué The Ship dans son intégralité, souvent pour un public corbaque nostalgique des eighties, mais il est désormais notoire que le bonhomme est nettement plus à l'aise dans son rôle de producteur et de musicien de l'ombre et des marges que dans celui de frontman habillé en marin chantant la fièvre dans le sang. C'est tout à son honneur, celui d'un type qui mériterait assurément aussi de faire l'objet d'un bouquin très détaillé, vu le nombre de vies musicales délirantes qu'il a vécues et la tonne d'anecdotes souvent incroyablement drôles qu'il charrie depuis des années. Un bonhomme encore plus culte que son disque le plus culte, en somme.

Serge Coosemans

Vidéos :

→ Koen Deca : Zanna
→ Selah Sue, Tom Barman & The Subs : Zanna
→ Luc Van Acker : Heart and Soul
→ Revolting Cocks : No Devotion

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