Cuculte-La-Praline #02

// 22/04/2015

Par Serge Coosemans

Si dans la longue histoire du rock belge, il existe quelques cultes bien répertoriés (Jacques Duvall, Les Tueurs de la Lune de Miel, La Muerte, Channel Zero, Neon Judgement..), il y en a d'autres qui sont un peu oubliés, un peu davantage pris pour des reliques d'un temps passé, alors qu'ils méritent pourtant autant une passion actuelle toujours fiévreuse qu'une réhabilitation massive. Voici cinq exemples de cultes pas cuculs à cultiver...

Cuculte-La-Praline #02 Arno : Ratata (1990)

Le Monstre dans l'Armoire

Je dois bien l'avouer, je n'aime pas beaucoup le personnage d'Arno, qui tient pour moi du gros relou, voire même du cassosse. De façon toute personnelle, je le vois comme une imitation de Nick Cave par Urbanus van Anus ou la version « Merditude des Choses » de Shane Mc Gowan, le chanteur des Pogues. On a dit de lui qu'il était le Tom Waits belge, le Jacques Higelin flamand, éventuellement même aux débuts de TC Matic, le John Lydon ostendais. Moi, je pense surtout qu'Arno, c'est Arno, c'est-à-dire une carte postale ambulante de la Belgique sous cloche : poésie de la lose, bon sens des petites gens, émotion à fleur de bite, cuites à la pils, rots mongolos et morale simplette. Je peux me tromper, passer à côté de son génie mais c'est comme ça que j'encaisse le personnage et pour quelqu'un comme moi, qui se méfie de la boue, du folklore social immuable et de la simplicité, ce n'est pas très glop. Le « vrai » Arno, s'il en existe un, je ne le connais pas, je ne l'ai jamais rencontré, vu que la seule fois où j'ai interviewé le zigue, en 1992, il a gardé le cap du personnage : en descente à 17 heures, l'animal m'a taxé l'entièreté d'un paquet de clopes neuf en moins de 44 minutes et s'est un peu vexé alors qu'après avoir sorti une énorme connerie qu'il avait l'air de trouver très intelligente, il m'a fallu dix minutes de fou rire avant de pouvoir reprendre le fil de la conversation. On peut ajouter au dossier que lorsque j'étais gamin, TC Matic me terrorisait, tout particulièrement la chanson Oh La La, qui semblait relever du bruit qui sonorise les pires cauchemars, d'une torture chantée par le Monstre dans l'Armoire.

Whoop That Thing

C'est peut-être bien parce qu'il est sorti en 1990 que Ratata, le troisième album solo d'Arno, est celui qui me reste bizarrement, qui relève même pour moi du véritable culte, le seul que j'ai eu vraiment envie d'écouter. Et puis de réécouter. 1990, c'est l'année de mes 20 ans, de mon service militaire, du début de ma défiance envers les critiques des Inrocks, aussi. Cela explique en partie pourquoi je me suis tourné vers ce disque : dans les casernes en Allemagne, un 33-tours neuf s'achetait au prix d'un Annie Cordy sur une brocante, alors, moi, j'achetais à peu près tout ce qui sortait, avec une attention toute particulière à ce dont les Inrocks semblaient se méfier ou se moquer. 1990, c'est une année complètement fascinante pour la pop. Une période très optimiste où l'on imagina le monde en voie d'être totalement pacifié ou presque, ultra-connecté, multiculturel. Dans la pop, cela se traduisit par de nombreux mélanges, une volonté de crossover total : du dub avec du rock, des multitudes de samples, des influences orientales, de la musique électronique, des accordéons avec de la soul... Cette volonté d'exploser les clivages, de faire sonner très naturels des mélanges inédits, se ressent très fort sur Ratata. Lonesome Zorro, le morceau d'ouverture fait un peu penser à Peter Gabriel, qui venait alors de sortir l'album Passion, peut-être ce qu'il a fait de mieux dans sa carrière.

La plupart des autres morceaux semblent quant à eux influencés par les Négresses Vertes, groupe alors incontournable mais aussi très typique de l'époque. C'est sans doute ça, la magie Ratata : c'est Arno géré par Virgin-France. On essaye de sortir l'animal de sa zone de confort, de lui faire jouer le Beau Bizarre plutôt que le Belge, de le placer sur la carte de la sono mondiale, de l'ancrer dans l'époque plutôt que de le laisser se transformer en chantre de la nostalgie bluesy-punk.

Le résultat est plaisant, énergique, même si aussi un peu plastique, peut-être même annonciateur des molles heures du trip-hop à venir. Arno y chante d'une voix plus ronde et chaude que du temps de TC Matic. On a exorcisé l'armoire, le monstre semble apprivoisé, apaisé, amusé. Normal, on est en 1990, l'année la plus optimiste de l'histoire contemporaine. Il y a un morceau qui s'appelle « I've Done My Best ». Pour une fois, on est d'accord.

Serge Coosemans

→ Arno : Whoop That Thing
→ Arno : I've Done My Best

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