Cuculte-La-Praline #06

// 16/11/2019

Par Serge Coosemans

Un disque servant surtout d'alibi à réécouter une œuvre complète, trois livres allant du plutôt pas mal au génial et un film qui se trouve aujourd'hui plus difficilement qu'un américain-minute correctement exécuté, c'est ma sélection culturelle belge de l'année. Grands emballements et piques gratuites, sinon ce serait moins drôle.

Henri de Meeûs : Pitou et autres récits
(Marque Belge, 2017)

Jusqu'à l'année dernière, j'ai cru que la littérature belge ne se limitait qu'à des bouquins écrits par des gens qui travaillent à la RTBF, à Jean Ray, à Bob Morane et à Simenon. Puis, j'ai reçu un exemplaire de Pitou et j'ai donc lu Pitou. Ce qui frappe d'abord dans Pitou, à notre époque où l'on reproche de plus en plus régulièrement les sales blagues aux blagueurs et les pensées troubles de leurs personnages aux scénaristes, c'est que ce bouquin est truffé de remarques sexistes et même racistes. Le livre est composé de 15 nouvelles. Les époques sont différentes, le degré d'intrusion d'éléments fantastiques est différent et les personnages sont différents. Pourtant, d'une histoire à l'autre, dès qu'il a moyen de renvoyer une femme à ses casseroles et un « étranger » à la suspicion de vol de poules, c'est à chaque coup carnaval. Moi, ça m'a plutôt fait marrer, d'autant qu'il est tout de même permis de penser qu'en écrivant des couillonnades de ce calibre, l'auteur entend moins véhiculer ses propres opinions qu'accentuer les côtés piètres, pathétiques et méprisables de ses personnages. Ou pas ? Parce que c'est ça le gros truc de Pitou : on n'est jamais sûr. C'est un bouquin déstabilisant, parfois assez nul, parfois presque génial. Parfois roublard, parfois très imaginatif. Peut-être écrit par un pur réac, peut-être par quelqu'un qui s'est beaucoup amusé à aligner des petites piques de nature à faire exploser de rage les justiciers sociaux de Twitter. On ne sait pas et c'est en fait mieux comme ça.

La deuxième chose qui m'a frappé en lissant Pitou, c'est que si quelqu'un a un jour l'idée d'adapter ces nouvelles en série télévisée, on tiendrait en fait une version belge de The Twilight Zone. Il faudrait bien un peu réécrire certaines choses, revoir des chutes pas toujours renversantes, remixer des rebondissements parfois maladroits. Ca vaudrait quoi qu'il en soit le coup, avec à la clé, une bonne dose d'histoires bizarres et malaisantes ayant pour cadre des homes de vieux à Ixelles et la déprime existentielle hors-saison à La Panne. Quelqu'un osera-t-il s'y coller ?

→ www.henridemeeus.be

Alexandre Laumonier : 6 / 5 / 4
(Zones Sensibles, 2013/2019)

Jusqu'au mois dernier, j'ai cru que la littérature belge ne se limitait qu'à des bouquins écrits par des gens qui travaillent à la RTBF, à Jean Ray, à Bob Morane, à Simenon et à Pitou. Puis, Wilfried, un magazine pour lequel je travaille, a publié les premières pages de 4, le tout récent bouquin d'Alexandre Laumonier et quelques jours plus tard, je me dégottais aux Petits Riens du même auteur 6 et 5. Bref, j'ai lu 6 et 5 et pas encore 4 mais cela ne saurait tarder. Ici, aucune réserve comme avec Pitou. C'est tout simplement génial, énorme, Jan Ceulemans au Mundial 86. Laumonier enterre les doigts dans le nez TOUS les journalistes de Belgique. Ce qu'il raconte dans 6, 5 et 4 sur le trading à haute fréquence à grands renforts de détails inouïs, de citations délirantes et de digressions sur-documentées tient du genre de long papier qu'on lit dans The New Yorker, ceux où l'on prend le soin de décrire le modèle des bretelles des protagonistes et la couleur réelle du ciel tel jour à telle heure. Ca parle principalement d'algorithmes et de crapules de la finance. C'est The Matrix par Scorsese, du Denis Robert geekoïde qui s'intéresse plus aux fonctionnement des machines qu'aux scandales financiers qu'elles déclenchent parce qu'elles sont programmées pour le faire. Bref, la Belgique francophone tient un auteur vraiment allumé et génial et tout le monde (ou presque) s'en balek et préfère parler de la scolarité des enfants de Jérôme Colin. Le changement maintenant, please. Et vite, encore bien.

→ “4“ sur le site de l'éditeur
→ “6|5“ sur le site de l'éditeur
→ SniperInMahwah, le blog d'Alexandre Laumonier

Benjamin Lew : Le Personnage Principal est un Peuple Isolé
(Stroom/Crammed Discs, 2019)

L'annonce d'une nouvelle compilation de morceaux de Benjamin Lew, prévue pour le 13 mai prochain, m'a redonné envie de tout réécouter de lui et c'est un réel plaisir. A Propos d'Un Paysage, Le Parfum du Raki, La Douzième Journée... Voilà des albums délaissés depuis longtemps et souvent faussement rangés dans la mémoire comme relevant simplement de l'arty eighties et du proto-ambient. Un peu ringards, donc. Sauf que non, bien évidemment. Ces disques sont beaucoup plus riches qu'une musique de chill-out room, de caisson sensoriel ou de galerie d'art. Ils sont aussi toujours plus modernes, parfois plus de 35 ans après leur sortie initiale, que bon nombre de plages contemplatives d'artistes electro qui se contentent généralement que de quelques nappes et de quelques boucles parce que bon, hein, « Si Brian Eno l'a fait... »

Benjamin Lew, c'est plus compliqué, plus envoûtant, tout simplement très beau et certes un peu snob mais et alors ? J'assume : entre des rappeurs qui chantent en wesh, des poppeux qui font rimer « fire » et « desire » et les vignettes musicales inclassables, oniriques, voyageuses et mystérieuses de Lew, mon choix est vite fait. Non seulement parce que j'aime sincèrement cette musique mais aussi parce que j'aime beaucoup ce genre d'artiste qui se pose en clé vers d'autres univers. Les notes de pochette de la compile sont à cet égard fantastique : on y cite Burroughs, Gysin, la guerre du Vietnam, le Plan K, les Ballets Roses, Marc Hollander, Alan Vega, Tuxedomoon, New York, le DIY, la musique d'ameublement d'Erik Satie, Pina Bausch, la haine des batteurs, Bali, l'alcoolisme, etc... Ce qui invite tout de même drôlement plus à s'ouvrir l'esprit (et les chakras) et à découvrir des choses et des histoires que l'actuel nombrilisme de bon nombre d'acteurs musicaux de premier, deuxième et troisième plan qui ne parlent que d'eux, de leurs potes et de leurs followers.

→ Voir sur Bandcamp

Dave Decat : Voyoucratie
(Editions CFC, 2018)

C'est une honte, je n'ai toujours pas acheté mon exemplaire de Voyoucratie, le bouquin de Dave Decat, un illustrateur bruxellois par ailleurs fort drôle spécialisé dans les gueules cassées, les métalleux et les voyoux de tous genres. Le livre est sorti en novembre et si vous êtes fasciné par les Apaches, la baston à l'ancienne et les veste en jeans sans manche, c'est un maître achat. Je le sais parce que j'en ai vu des extraits sur Internet. Et tant que j'étais sur Internet, j'en ai aussi profité pour checker le compte Instagram de Dave Decat Fatalitas. La grosse barre de LOL ne s'est pas fait attendre : la tocade du moment de l'artiste, c'est en effet de dessiner au feutre de couleur des nouvelles aventures de Conan Le Barbare de façon ultra-naïve. Quelle humain censé ne se plie pas en douze devant ça ?

→ Dave Decat sur Instagram

Les Tueurs Fous
(Boris Szulzinger, 1972)

1972, c'est 10 ans avant les Tueurs Fous du Brabant mais 5 ans après Bonnie & Clyde d'Arthur Penn, le carton hollywoodien qui a rendu totalement glamour l'idée d'un couple au ban de la société qui tue des innocents par pur plaisir. Sans doute qu'il y a donc bien une part d'exploitation dans ce tout premier film de Boris Szulsinger, qui allait plus tard toucher le jackpot en co-écrivant Tarzoon, la Honte de la Jungle avec Picha. Le choix du Sexe de la Violence comme premier titre laisse aussi entendre une aptitude à choisir des mots clés vendeurs 38 ans avant l'apparition d'Instagram.

Le film est toutefois plus radical que putassier. Il est bien quelque peu approximatif mais il ose (en 1972, donc), des parti-pris qui font toujours hésiter aujourd'hui : des anti-héros gays pas sympathiques du tout, un sentiment d'ennui existentiel surligné, une ambiance générale glaciale et complètement no future, ainsi que des scènes à la fois drôles et glauques qui s'étirent jusqu'au grotesque, comme celle où le duo agresse un cycliste dans le Bois de la Cambre en hurlant « Eddy ! Eddy ! Eddy ! » (pour Eddy Merckx, bien évidemment). Les amateurs de vieilles cartes postales auront également un peu de mal avec la vision urbaine d'un Bruxelles complètement gris et uniquement habité de vieillards en imperméables, d'homosexuels maniérés pintés à la bière plate et de journalistes passablement crétins. Pour ne rien arranger à cette claustrophobie, beaucoup de scènes sont tournées dans des appartements cradingues et des bistrots miteux. Bref, du punk avant que le punk n'existe. Alors, ok, ce n'est pas un grand film. Mais ce n'est pas non plus qu'une simple curiosité ou juste une rareté kitsch. C'est quasi une matrice pour beaucoup de choses qui seront mieux menées plus tard, ailleurs et par d'autres. Et c'est aussi un sommet du glauque. Maintenant, bonne chance pour en retrouver une copie correcte, les ami.e.s.

→ Voir quelques extraits sur YouTube

Serge Coosemans

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