Vous êtes une veille d’avant-veille de Noël. Vous êtes en ville. Dehors, le temps hésite entre bruine et crachin. 50 nuances de gris depuis 10 jours au moins, un ciel invariablement belge. Vous avez presque réussi à éviter les marchés de Noël lesquels n’osent plus dire leur nom et se rebaptisent en marchés d’hiver par peur de convoquer le religieux. Mais rien ne change, au dehors c’est toujours la même laideur. Au-dedans, l’effarement demeure intact devant une telle débauche consumériste. Le trop plein de diodes clignotantes et de sapins en plastique. Le débord de gras, le débordement de fausses promesses. A Noël vous aimeriez justement revenir, y revenir, retourner à l’essentiel, renouer avec une tentative de célébration, celle du jour le plus court ou plutôt de la nuit la plus longue.
Pour l’heure, il fait nuit depuis longtemps, vous vous pressez aux porte de l’église Sainte-Catherine sise au bout de la rue Neuvice, la plus ancienne venelle de la Cité ardente. Malgré son style baroque et sa forme en croix latine, l’église ressemble à un temple orthodoxe garni de dômes dont la peinture bleue orage s’avère fortement écaillée. Une impression que renforce la pénombre qui y règne en permanence. Les peintures ont subi les affres du temps, les murs sont recouverts d’une poussière mate qui s’y est incrustée au fil des décades.
Ce soir vous êtes venu écouter un combo au nom sibyllin réduit à trois lettres dont vous ignoriez tout jusqu’alors : hgu. Neuf musiciens se tiennent dans le transept : un batteur de chaque côté de la croisée, deux choristes flanquées de claviers au milieu, un cuivre à chaque extrémité. Les autres ne sont pas rivés à leur poste, ils déambulent dans les nefs et échangent parfois leur instrument. Les premières notes où dominent une guitare au jeu fluide s’égrènent avec une telle légèreté qu’elles s’accordent au lieu avec grâce, une sensation confortée par le chœur qui très vite prend l’ascendant, pour ne pas dire l’ascensionnel. On se laisse délibérément bercer par cette musique dont l’inspiration spirituelle est assumée, révélée. Au point de s’apaiser dans une sorte de torpeur sensorielle. Tout d’un coup, c’est la rupture totale, un grand fracas se fait entendre, un fatras indescriptible. Au martèlement carillonnant sur des bonbonnes de gaz venues renforcer le set des percussions succède la dispersion des sons et des voix dans un tumulte épars. Cela sonne comme de Godspeed You! Black Emperor en acoustique !
Le guitariste s’empare d’un porte-voix en cuivre et rejoint par un escalier dérobé le jubé pour y déclamer un texte en russe. A la fois étouffé et distinct, le son est tel que l’on croirait la voix provenir d’un diffuseur d’une vieille radio. Plus tard, ce même porte-voix acoustique sera utilisé par le percussionniste pour une prose impromptue à la diction parfaite qui convoque Artaud mais n’exhorte rien. Plus tard encore, les cuivres se déploient dans les nefs, l’effet stéréo naturel est poussé à son paroxysme tandis que les chœurs reprennent à l’unisson.
En une heure à peine, l’intromission est exécutée, opérée sans avatar, sans accroc. Pour peu, on se serait cru à l’accomplissement d’une communion œcuménique exempte de rites et de rituels. Les louanges sont unanimes, les congratulations affluent de toutes parts. Alors que de petits groupes gagnent la sacristie où du vin chaud est servi en gobelet, d’autres s’empressent de se procurer à la sortie un simple disque blanc sans titre et sans nom, estampillé d’un petit animal non identifié à la renverse. Pour l’heure, hgu reste un mystère, une apparition impromptue une avant-veille de veille de Noël, une congrégation sonore spirituelle, sans chapelle et sans signe extérieur d’appartenance musicale.
Eric Therer
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