​Nah au Microfestival, Emotional Hooligan

// 25/09/2016

Par Eric Therer

On n’aurait raté les premières minutes pour rien au monde. On a voulu entendre les frappes liminaires, les premiers roulements, la semonce. Très vite ça a frappé aux tympans, ça a martelé sec, cogné les tempes.

Au début on a cru à une démonstration de force, une parade de mâle prédateur, un effet d’entrée en scène. Quand on vu que ça se prolongeait, que le jeu s’installait, on a ouvert grand les oreilles, on a écarquillé les yeux. Au rebord de la scène, la batterie s’emballait, comme si elle allait décoller de son tapis et venir percuter le public. Après quelques minutes, le type s’est glissé hors de son tabouret, il s’est levé, il s’est tenu droit comme un i et s’est mis à vociférer. Des fuck, des shit, des yeah. Par fournées entières. Des mots à la fois sourds et balourds. Nous, on n’a pas souhaité être en reste. On se tenait en retrait, en périphérie, au bord du chapiteau. Dare-dare, on s’est rappliqués vers l’avant. Et déjà ça jouait des coudes et des pieds, il y avait comme une douce bousculade qui s’ébranlait, des gars qui s’ébrouaient, le début d’une clameur.

Quelques minutes après, le parterre du devant tanguait sur les remous d’un pogo féerique emmené par autant de mecs que de nanas. Des chopes on valdingué en l’air tandis qu’un requin gonflable volant surfait sur nos têtes. Un tamponnage de corps en sueur. J’en ai perdu mes clés de voiture et une sandale. Pour peu on se serait crus revenu au début des eighties, un retour vers le passé glorieux. Mike Kuhn, lui, n’est pas resté en place, alternant à la frappe et au chant, courbant son corps pour mieux le détendre et le retendre. Il a fait mouche devant un public conquis par son sens de l’ubiquité. Ou comment être à la fois frontman permanent tout en assurant sans relâche l’entièreté de la musique l’accompagnant. Il a sans conteste pleinement assumé son rôle de tête d’affiche de cette deuxième journée du Microfestival de Liège.


D’ores et déjà salué par la critique comme étant l’incarnation d’un renouveau salvateur du rap, Kuhn, aka Nah, est un phénomène excentré, un one-man anti-show à lui seul, un homme-orchestre sans orchestre. De son histoire, on ne connaît que des bribes. L’homme aurait passé son adolescence en Pennsylvanie où il se serait d’abord initié à la guitare puis à la batterie à 15 ans. Il a figuré au sein de 1994!, un duo punk guitare/batterie qu’il a fondé au milieu des années 2000 en compagnie de son comparse Chris et avec lequel il a traversé les Etats-Unis de long en large, partageant une parenté pas très éloignée de celle de Lightning Bolt. De cette équipée, il ne subsiste que quelques vidéos et deux 12’’ sur le petit label Inkeblot.


Il y a trois ans, Mike se marie à une Belge qu’il a rencontrée en tournée. Partageant son temps entre Philadelphie et Bruxelles, bravant les contraintes administratives, il finira par s’établir chez nous, passant pas mal de temps en compagnie du duo portuan-bruxellois Fujako. Il devint alors évident que jouer en solo s’avérait plus commode pour lui. Optant pour le patronyme Nah, signifiant « non » en argot américain, il se revendiquera d’une forme de négationnisme artistique consistant à dire non aux conventions et à des pratiques l’ayant garroté dans le passé.

Tour à tour étiquetée « punk-rap » ou « punk hip-hop », sa musique est récalcitrante aux classifications et aux genres. Pour l’essentiel, elle se retrouve éditée sur des cassettes à tirage confidentiel ou en format digital. Sur scène, l’appareillage de Nah se réduit au minimum vital : une batterie, un pad Midi et une petite bibliothèque de samples. Le reste tient dans sa prestation : un exercice physique intense, viscéral, féral. Nah cogne fort mais subtilement. Il chante mal et vite, sans fard et sans fart. Ses mots sont indigents mais revêtent une urgence existentielle qui décoiffe. Nah a des allures de voyou émotionnel. Nah dit non même quand il veut dire oui.

www.nahstuff.com

Discographie récente : « Garbage Crap », cassette, 2016 (Ranch Jams) ; « In Touch with NAH », CD, 2015 (Ranch Jams)

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