Le son de The Sound

// 03/05/2017

Par Eric Therer

A l’endroit de The Sound, la chronique n’a jamais tracé de voie céleste pas plus qu’elle ne lui a édifié de panthéon. Au faîte de sa non-gloire, le groupe anglais est demeuré dans une relative pénombre, largement distancé par le succès d’Echo & The Bunnymen, figure de proue incontournable du label londonien Korova sur lequel ils furent l’un et l’autre signés à leurs débuts. A l’entame des années 80, j’avais dévotement suivi le groupe en tournée, dans un vieux cinéma de Leuven, au Plan K, à Hof Ter Lo et même dans un hall omnisport à Schifflange tandis que je tenais ‘Jeopardy’ et ‘From The Lion’s Mouth’ comme deux albums de mon top 10 intemporel.

L’époque était encore à la guerre froide. En 1980, une chanson comme ‘Missiles’ prédisait une possible catastrophe nucléaire alors qu’un an après ‘New Dark Age’ évoquait le retour des temps obscurs. On se souvient de concert noirs, bruts, attendus par quelques poignées de fans fidèles bien moins en verve que ceux de U2 qui jouait pourtant alors sur le même terrain. La suite révéla une succession d’albums d’assez bonne facture délaissant les rivages placides de la new-wave pour une pop de plus en plus nuancée, riche en reliefs et en abimes. Avec le temps, Adrian Borland, son chanteur et mentor, se fit introspectif, excellant dans l’art d’écrire des chansons lestées de sa mélancolie et grevées de son mal-être.

Au début de l’année 1988 le groupe se disloqua, en proie aux errances de Borland devenues aiguës. S’il dut se faire soigner à plusieurs reprises pour dépression, cela ne l’empêcha pas de continuer à composer en solo ou avec d’autres musiciens sous divers alias pendant près d’une décennie et de réaliser bon nombre d’albums aux qualités inégales. Malgré les rumeurs et annonces, The Sound ne se reforma jamais. Au petit matin du 26 avril 1999, appréhendant un retour en hôpital psychiatrique, Adrian Kelvin Borland se jeta sous un train en gare de Wimbledon.

En organisant un ‘Tribute to The Sound’ en mars dernier, l’Entrepôt à Arlon entendait d’abord saluer la mémoire d’une formation remarquable et mythique, sans pour autant jouer la carte de la commémoration ampoulée. On y entendit avec bonheur un revenant en la personne de Mark Burgess qui eut naguère son heure de gloire avec The Chameleons. Ami de Borland, Burgess lui rendit – d’abord accompagné, seul avec sa guitare acoustique dans un second temps – un hommage vibrant sans fioriture et sans parure. Egalement convié, Spirit Of Dole (anciennement Dole, un groupe originaire d’Athus dont il ne subsiste à ce jour que deux membres originels : le chanteur et le guitariste) se rappela à notre souvenir, revisitant l’essentiel de son premier album qui fut produit par Borland, réinterprétant au passage le magnifique ‘Hand of Love’ écrit par celui-ci, paru au même moment chez Pias.

La soirée se prolongea avec la prestation endurante de A New Dark Age, un véritable tribute band dédié exclusivement à la reprise des deux premiers albums de The Sound, constitué par des membres du défunt combo brugeois Red Zebra. Sur scène, Peter Slabbynck se tient avec retenue, arborant un t-shirt reprenant une épitaphe curieuse, ‘Mon mort’, dont on ne sait si elle constitue un acte manqué ou une revendication assumée. A la guitare, Steven Janssens (Daan, Mark Lanegan Band) parvient à restituer en finesse et en vitesse les accords torturés, tonitruants de Borland.

En décours du set, décoffré brute de force et exécuté sans faux pas, le brûlot ‘Heyday’ revient sur la trace des premières foulées de The Sound, à la charnière post-punk de la fin des années 70 / orée des années 80. Des jours urgents, des heures impérieuses. A tenter d’en saisir la substance dans le rétroviseur du temps, on se surprend à chavirer sur ces sons que l’on croyait irrémédiablement laissés derrière nous. Un son quasiment identique à l’original qui pourtant n’est plus tout à fait le même. Le son d’un tribute band qui ne prétend pas à l’authenticité mais qui, quand même, risque l’impossible pour paraître vrai. Le son de The Sound. Le son enfoui retrouvé. En ce 26 avril 2017, je repense à Borland. Dix-huit années déjà. R.I.P. Adrian.


Deux disques à (ré)écouter : The Sound, ‘Jeopardy’ et ‘From The Lion’s Mouth’, édités chez Korova/Warner

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