"Captain Boogie" est une bombe sale. Un accident de dragster. Un coup de madrier sur l’occiput. L’écouter, c’est se prendre la colère de Zeus direct dans les balloches. Etc.
Insoumis, indomptable, "Captain Boogie" met pourtant, assez étrangement, deux ou trois écoutes à tomber le masque et à révéler son vrai visage, ahuri, hargneux et parfaitement jouissif. De la part d’un groupe qui a pris la bonne habitude, sur scène, de canarder sans sommations, de chercher le KO au premier round, de hurler à la mort sans crier gare, on est un peu surpris, voire un chouïa déçu. Puis ça fait tilt, la méprise éclate : ce disque, plus dur que son prédécesseur, "Hellelujah", plus métal, plus éclaté aussi, moins balisé, faut pas l’écouter en faisant sa chochotte, faut pas se soucier des voisins, de mamy, du chat ou de la perruche, faut accepter tout doucement l’inéluctabilité du sonotone. The Experimental Tropic Blues Band remet tout simplement au goût du jour le premier, le seul, l'unique commandement du rock’n’roll : musique déraisonnable à volume déraisonnable tu écouteras. Les amplis sur 11 exposant 11. Pas moins.
Le titre qui, le premier, rend impérieux ce besoin de faire trembler les vitres et couler le papier peint le long des plinthes est aussi celui qui surprendra le plus les fans de la première heure : "Bang Your Head" évoque en effet, plutôt que les Cramps, des Stray Cats ébouriffés ou quelque vieux bluesman fêlé, les grandes heures de ce que l’on appelait en 1992 le rock fusion : Rage, les Red Hot, Cement, "Sabotage", tout ça. Pas follement hype… mais comme la chose, tout en larsens crissants et syncopes funky, donne très envie de se fracasser le crâne, de plaisir irrépressible, sur le premier mur venu, on pousse le son des deux mains. Et l’on découvre dans la foulée que les onze autres morceaux, brouillons à bas volume, dopés par la sono, déchirent eux aussi des parpaings à mains nues : dans la brèche ouverte s’engouffre une sarabande infernale et saturée qui électrise aussi sûrement que de mordre à pleines dents dans une ligne à haute tension. Avec des dents en cuivre.
Cette patate thermonucléaire (on pèse ses mots) suffirait à rendre "Captain Boogie" indispensable... mais il y a plus. Un autre truc qui impressionne, par exemple, sur ce disque compact et percutant, c'est l’éventail des genres ressuscités à la pince crocodile. On peut être hyperactif et érudit, et c’est à une histoire accélérée du rock’n’roll – accélérée dans les deux sens du terme : Tropic saute du coq à l’âne, Tropic a le pied lourd – que nous convie "Captain Boogie". Si le groupe perpétue la tradition qui fit sa réputation – rockab’ à gogo, boogie en-veux-tu-en-voilà -dans-ta-face, mention spéciale à "Baby Sue" et sa flûte à coulisse –, il pousse encore un peu plus loin ses aventures généalogiques : c'est aux grands Jerry Lee Lewis et Buddy Hollyque le trio rend cette fois d'hypocrites hommages, commençant, avec "Hippidy Hop", par donner une leçon de pyrotechnie à "Great Balls of Fire" (rien que ça) avant de livrer, de "Think It Over", une version garage qui ringardise complètement l’original. Ailleurs, un poil snob, Tropic sort les cuivres et les vents, et c'est pas tout à fait du Antony & The Johnsons : les tympans les plus résistants éclateront sous les assauts combinés du sax strident de "Disco d'Inferno", puis de l'harmonica zydeco sur "I Dig You Much & More", dégouttant d’acide sulfurique.
Tropic n'est pas que purisme noise, il est aussi extravagance. Wild and crazy! On retiendra en particulier, entre autres indices d'insanité, "Cock-a-Doodle-Doo", rock de basse-cour entamé sur une mélodie guillerette jouée au xylophone pour dégénérer vite fait en pogo de volailles, et s’achever dans un tourbillon de paille et de plumes, de crêtes sanglantes et de becs arrachés. Puis, dans un style moins rigolo, vraiment flippant, ce "Goddamn Blues" vicieux et lancinant sur lequel Dirty Wolf éructe d'odorantes confidences. « I shit my pants », l'entend-on notamment s'égosiller et l'on n'est pas sûr qu'il s'agisse d'un simple clin d’œil à son label Jaune Orange. Au-delà du contraste, saisissant, ces deux morceaux sont les deux faces d’un même univers, celui d'un groupe constamment écartelé entre la gaudriole punk et l'agression pure, le satanisme sincère et les mythologies de série Z, les accélérations burlesques et les rythmes plombés. Un grand écart qui donne à "Captain Boogie" un petit air de dessin animé hystérique et grimaçant, quelque chose comme les aventures d’Eddie revues et corrigées par Tex Avery. En ce sens, la pochette de Jampur Fraize, avec sa palette malsaine et flashy, son rouge sang-de-bœuf, son jaune foudre, son vert gerbis, annonce franchement la couleur : psychédégueulasse.
La toute grande force du groupe, c’est d'allier cette passion pour le badass et le bizarre, cet univers déglingué limite psycho, à une technique blues sans faille ; c’est crade, certes, mais précis comme un laser. Et puis combien de groupes comptent dans leurs rangs non pas un mais deux leaders aussi charismatiques : il y a quelque chose de fascinant à passer sans cesse – avec pour seul fil rouge le backbeat classieux, imperturbable de Devil d'Inferno – de la voix sinueuse et sexy de Boogie Snake, diable ondoyant, reptile convulsif, aux rugissements caverneux de Dirty Wolf, parfait dans son personnage de chacal libidineux. Et puis, vous avez remarqué ? On n'a pas écrit une seule fois les mots « cité ardente », « communauté française » ou « rock belge ». Parce que, voyons, les amis, un peu de sérieux, ce n'est vraiment plus à ce niveau-là que ça se joue : incarnation la plus pure du wooock'n'wooooooll le plus sauvage et authentique, celui qui se joue à poil et la bave aux babines, sans rival nulle part à l’heure actuelle, Tropic est définitivement promis, dans les milieux concernés, à une gloire mondiale, universelle, cosmique.
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