N'écoute pas les idoles #2: Même pas belges

// 28/04/2017

Par Jeff Bertemes

Ils sont talentueux. Très talentueux. Ils représentent aujourd’hui l’espoir de voir (re)naître une chanson d’expression francophone sur le territoire belge. Phénomène pour le moins singulier, les artistes présentés dans cet article ont pourtant tous une même caractéristique. Celle d’être Français d’origine.
Choisir la Belgique pour lancer son projet musical, véritable choix de carrière ou hasard de la vie ? Quel regard ces artistes portent-ils sur la scène de notre pays ?
Rencontre avec cinq espoirs de la très vive scène francophone de Belgique.


RIVE

Un projet. Deux visages. Les qualificatifs élogieux viennent d’ores et déjà à manquer pour présenter Rive.

Né à l’automne 2015, le duo n’a pas attendu pour faire parler de lui. Récompensé d’une douzaine de prix au concours du F. dans le texte, premier prix du Franc’Off 2016, Rive vient tout juste de sortir un premier EP aussi graphiquement réussi que musicalement envoûtant.

Kevin (le batteur) est originaire de Saint-Brieuc en Bretagne. Juliette (la voix) provient quant à elle d’Angers, située également dans l’ouest de la France. Celle-ci nous explique les raisons de l’arrivée de son binôme à Bruxelles : “C’est vraiment un concours de circonstances, une aventure collective. Nous sommes partis à cinq copains. Certains connaissaient déjà la ville, ayant fait leurs études en bandes dessinée à Saint-Luc. Lorsque nous avons débarqué, nous ne connaissions pas la ville mais nous sommes très vite tombés sous le charme de la capitale.”

À Kevin de poursuivre : “ Il y a un foisonnement de projet musicaux en Belgique. Au départ, on connaissait surtout Ghinzu, Sharko, Girls in Hawaii, Soldout. Aujourd’hui, on écoute aussi BRNS, Ulysse, Nicolas Michaux,Roméo Elvis, Faon Faon, Konoba, Nicolas Testa, Great Mountain Fire, WUMAN, etc. On a l’impression qu’il y a une ouverture d’esprit, une curiosité, une véritable communauté de musiciens. Par ailleurs, il y a un vrai soutien aux groupes en développement avec des structures d’accompagnement comme le Studio des Variétés à Bruxelles ou Ça balance à Liège, qui proposent des moyens pour développer les projets.”


GOODBYE MOSCOW

Benjamin Hutter, auteur-compositeur et interprète du projet Goodbye Moscow, est d’origine franco-arménienne. Le jeune artiste nous explique qu’il est né à Dijon, qu’il s’est marié à une Russe de père ukrainien et que son propre père est né au Gabon. Joli mélange.

“Avec Macha (ndlr. son épouse), nous voulions quitter Moscou pour découvrir de nouveaux horizons. Nous hésitions entre New York et Bruxelles. Nous n’avions jamais mis les pieds en Belgique et la ville de New York nous avait quelque peu refroidis. J’ai récemment vu un documentaire sur le New York de Moby. On y expliquait qu’à chaque endroit où il y avait avant une salle de concerts ou un club, il y a aujourd’hui une banque ou une boutique Louis Vuitton. C’est à se demander où est passé Scorsese. Nous avons donc jeté notre dévolu sur Bruxelles. Il s’est avéré que la Belgique était un pays parfait pour développer un projet musical et se sentir soutenu. Plus ou moins deux mois après mon arrivée, j’ai envoyé des démos au collectif Planet Melon à Liège, qui m’a rapidement pris sous son aile. Dans “Les Secrets de l’Univers” d’Hubert Reeves, j’ai lu dernièrement la phrase suivante : “Le hasard est la manifestation d’une loi qu’on ne connaît pas encore”. Si tout cela était
totalement improvisé au départ, je suis content d’être tombé sur les bons rails”.


MATHILDE FERNANDEZ

Mathilde Fernandez est un OVNI. Une diva barge comme on les aime.

Niçoise d’origine, la jeune femme nous conte également son arrivée en Belgique : “C’est un hasard qui est devenu un choix. À l’époque, je me suis installée ici car je travaillais dans le milieu du spectacle vivant. Beaucoup de choses se passaient à Bruxelles dans ce secteur d’activité. Un an et demi plus tard, je lâchais tout pour me lancer pleinement dans mon projet musical, qui existait déjà mais qui n’était pas au premier plan dans ma vie. Aujourd’hui, je bouge pas mal entre Paris et Bruxelles mais je compte bien rester vivre à Bruxelles. J’adore vivre ici.”

Concernant sa vision de la scène belge, l’artiste ajoute :“Je ne me sens pas particulièrement intégrée dans une scène en particulier. On me taxe d’ailleurs d’inclassable, ce que je considère bien entendu comme un luxe. En Belgique, il est difficile de parler de “scène” à proprement parler car il en existe plusieurs. J’aime bien les hardeurs de chez Black Basset Records qui me font marrer : Mont Doré est un bon exemple. J’aime aussi les gentils gars du groupe Insecte, Robbing Millions dont j’apprécie l’univers visuel ou encore Nicola Testa que je considère comme un super performeur. Ce ne sont pourtant pas du tout les mêmes styles.”


INSECTE

Egalement lauréat du concours du F. dans le texte, le groupe Insecte est originaire de Paris. À nouveau, le hasard aura décidé de rassembler les différents membres du groupe, venus à Bruxelles pour suivre des
études.


“On aime beaucoup ce qui se passe musicalement en Belgique, notamment la montée en puissance de rappeurs qui relèvent vraiment le niveau en ce moment. Nous sommes également sensibles à ce qui se passe dans le domaine Pop/Rock. Nous sommes assez proches du groupe Le Colisée, qui nous a pas mal tirés vers le haut. Musicalement parlant, la Belgique est un pays très ouvert et solidaire. Il n’y a pas de compétition et
tout peut aller très vite.”


SAGES COMME DES SAUVAGES

Qui de mieux que le groupe Sages comme des Sauvages pour parler de multiples origines ?


Ismaël Colombani nous explique : “À notre époque, il est toujours particulier de parler d’origines, surtout pour les villes. Notre génération a tendance à être plutôt mobile. Ava, par exemple, est née à Paris, a grandi en Grèce, passé son adolescence à Orléans, fait un crochet par Montpellier avant d’aller à Berlin. Puis retour à Paris en faisant maintenant le yo-yo entre la capitale française et Bruxelles. En ce qui me concerne, je suis né dans le massif central (en France). J’ai passé une partie de mon enfance dans des roulottes en Espagne et au Portugal, puis mon adolescence à Lyon. J’habite à Bruxelles depuis 12 ans, même si on me dit encore que je suis “français” ce qui ne correspond à pas grand chose pour moi. Je me sens aujourd’hui plutôt bruxellois. Nous nous définissons d’ailleurs comme un groupe Créolge”.

À lui d’ajouter : “Ce qui compte le plus c’est d’avoir des conditions décentes pour vivre et flâner un peu. C’est ça qui permet de rencontrer des gens et d’avoir le souffle pour faire de la musique. Sur cet aspect, Bruxelles
est vraiment hospitalière. J’ai beaucoup écumé la scène indé bruxelloise avec des lieux comme La Compilothèque, le RTT, le Magasin 4, le Café Central, Le Bed & Breakfast ou encore le Barlok. Des lieux qui, selon le climat, apparaissent et disparaissent comme des champignons et qui sont dédiés aux cultures pas rentables, aux marginaux de tout poil. Ces endroits, reposant quasi entièrement sur l’énergie des gens qui les tiennent, permettent de diffuser plein de groupes qu’on ne verrait jamais autrement. Bruxelles est incroyablement fertile à ce niveau-là.”


Le hasard semble bel et bien avoir mené cette belle relève jusqu’à notre pays. Espérons cependant qu’il ne soit pas le seul et unique moteur de leur ascension. Les artistes présentés dans cet article cultivent chacun une identité forte, une singularité. N’est-ce pas, par ailleurs, le propre des créateurs ?

Il semblerait particulièrement dommageable de limiter de tels talents aux seuls circuits des si précieuses scènes indés, très justement décrites par Ismaël. Diffusons nos artistes. Offrons-leur les plus grandes scènes et cultivons notre fierté de les compter parmi les auteurs de notre "identité nationale". Forte. Belle. Mais surtout, multiple.

En ces temps troublés : vive la République et vive la Belgique.

ACTUALITES

Rive se concentre sur sa tournée d’été (Les Nuits du Bota, les Aralunaires, Les Ardentes, les Francofolies de Spa, Les Solidarités, le BSF). Un nouveau clip est attendu pour juin prochain.

Benjamin, accompagné par trois musiciennes, prépare actuellement une formule live de Goodbye Moscow. La première aura lieu ce 23 juin au Hangar de Liège.

Mathilde Fernandez s’apprête à sortir un clip ainsi qu’un morceau inédit. Elle écrit actuellement son deuxième EP dont l’enregistrement débutera très prochainement. Vous pourrez notamment la retrouver sur la
scène des Francofolies de Spa le jeudi 20 juillet.

Insecte sortira très prochainement son deuxième EP. Le lancement aura lieu le 24 mai à l’Atelier 210. Plusieurs dates estivales sont également confirmées (dont Les Nuits du Bota). Un clip est prévu dans les prochains mois ainsi que la sortie d’un double vinyle EP prévu pour septembre.

Enfin, Sages comme des Sauvages continuera de sillonner les routes jusqu’à décembre 2017. Le groupe, affichant d’ores et déjà plus de 110 dates à son compteur, présentera un peu partout sa formule quatuor (basson et percussion) qui s’accompagne d’une création lumière et d’une scénographie particulière.

CREDITS IMAGES :

Insecte : Illustration - Akamatsu Kenta
Mathilde Fernandez : Photo - Raphaël Lugassy
Rive : Photo - Olivier Donnet
Sages comme des sauvages : Photo - Toine

RETOUR

ARCHIVES

Avec le soutien de
Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles service des musiques non classiques
Top