Cosy fan tutte, les secrets de Joe

// 22/09/2019

Par Catherine Colard

Le ciel doré sur Liège est si clément qu’on se croirait dans une chanson de 1975. Cette année-là, une hallucination auditive et un manque de culture générale très vite comblé m’avaient fait entendre que Marie-Laure était enceinte. C’était l’été indien.

Le vingt-deux de septembre, je ne m’en fous pas tant que cela. Je suis très loin de ce matin d’automne mais c'est comme si j'y étais. Au temps des feuilles mortes, les arbres vont changer de couleurs et je ne suis pas à un marronnier près.

A ce détail que je ne suis ni sur une plage ni dans le Nord de l’Amérique, je me souviens. Il y a une éternité, il y a un siècle, il y a... bien ça. LE slow de 1975 reste un truc un peu honteux dans ma biographie. Mais il est aussi inoxydable que son chorus de trompette, que je trouvai très érotico-inspirant quelques automnes plus tard, quand j’eus l’âge béni d’être élue reine du roulage de patins sans roulettes dans mes bals de village. Bababaaababababababababaaa. Je tombais alors systématiquement amoureuse de types décoratifs affublés de chemises scandaleusement moches. Joe Dassin, sa voix suave et son léger strabisme ne laissaient d’ailleurs pas indifférente la fille en fleurs que j’étais du temps ou l’amour durait 4 minutes 47.

J'ai découvert de drôles d’anecdotes autour de cette chanson épistolaire. J’adore les rendez-vous et les hasards qui n’en sont pas, alors je vous les livre ici. Voici donc venu l’instant « gai savoir » très frotte-frotte, name dropping et gueule de bois internationale.

1975. La carrière de Joe Dassin est à marée basse et il cherche la chanson qui le remettrait à flots, lorsqu’il entend Africa, chantée en anglais avec l'accent rital par Albatros, le groupe de Toto Cutugno. A la composition de cette mélodie lancinante qui connaîtra un destin incroyable, Toto l’Italiano Cutugno. Il se fera véritable dealeur de tubes en composant après 75 plusieurs autres hits variétoche pour Dassin, mais aussi Laissez-moi danser pour Dalida, En chantant pour Michel Sardou, Derrière l’Amour pour Johnny et des dizaines de cartons pour chanteurs populaires. Dont lui-même, ovviamente.

Africa ne connaissait pourtant qu’un succès mitigé sur les ondes transalpines, et c’est sans doute dû à son texte trop engagé, pas assez sexy pour son public. Pensez, la complainte d’un vieil Africain exilé exhortant ses frères à quitter leur monde artificiel pour retourner sur la terre de leurs ancêtres... Flairant cependant la conversion tubesque de cette compo, Pierre Delanoë et Claude Lemesle réécrivent très vite le texte d’Africa en français, n’en gardant que la mélodie et le ton récitatif. Ce sera L’Eté indien. Toto veut que ce soit Claude François qui chante cette adaptation, mais ça restera voeu pieux. Les potins racontent que Cloclo, qui devait se présenter avant midi pour en acquérir les droits (ou pour l'enregistrer), serait arrivé en retard à cause d'une soirée trop arrosée. C’est connu, on ne réveille pas (plus) Claude François.

On ne remerciera jamais assez les lendemains de veille, les effets magiques de la gueule de bois et les caprices de stars. C’est par contre bingo et prosecco pour notre Joe, qui redorera son capital sympathie grâce à cette chanson et vendra des étés à la pelle.

S’il parle de séparation, L’Eté indien fera de nombreux petits. Le tube interplanétaire sera repris dans toutes les langues ou presque, notamment en anglais par Lee Hazlewood et son épouse Nancy Sinatra. Joe Dassin himself chantera lui aussi l’été en anglais, et même dans une version avec les Chœurs de l'armée Rouge. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, se dit Toto Cutugno, qui interprètera plus tard une traduction italienne du texte de Delanoë/Lemesle. En français, citons la bossa flippante de Katerine (qu'il ne chante pas, laissant ce soin à sa compagne Anne ou à sa soeur Bruno, je ne sais plus laquelle des deux), la parodie par Chantal Lauby avec des mouettes et le délicieusement dépressif Tube de l’Hiver signé Guy Bedos.

En 1982, autre destinée croquignolesque pour notre été indien, avec Guy Marchand, le crooner désinvolte et paresseux. Pour la BO du film Les Sous-doués en Vacances de Claude Zidi, Guy Marchand voulait une chanson à la fois ringarde et humoristique, à contre-courant des slows de l'époque. Il eut cette idée folle d’inverser des notes de L'Été indien, sorti sept ans plus tôt. Et hop, ainsi est né son tube Destinée, co-signé avec Cosma, qui sera par ailleurs utilisé la même année dans Le Père Noël est une Ordure pour faire danser Katia et Pierre.

Mais revenons à L’Eté indien et à son solo solaire de trompette. Ou plus précisément à son trompettiste, Pierre Dutour. Inconnu connu, cet excellent interprète a également donné de son souffle sur La Maison près de la Fontaine de Nino Ferrer ou sur Mademoiselle chante le Blues de Patricia Kaas. Il m’offre l’occasion de célébrer le travail dans l’ombre des musiciens de studio. Et l’anecdote qui suit risque de chambouler vos certitudes adolescentes sur un autre tube de 1975. Qui ne connaît pas la pochette kitch de Dolannes Melodie n’a jamais fréquenté les brocantes ! Slow instrumental poussif pour maisons de repos, Dolannes Mélodie a été composé en 74 pour la BO du polar de feu Jean-Pierre Mocky Un Linceul n’a pas de Poches. Si c’est bien notre Pierre Dutour qui interprète magistralement le thème principal du film dans sa version originale, il sera pourtant attribué a posteriori à Jean-Claude Borelly. Dutour est un type discret qui n’a pas le bon look pour passer à la télé. C’est là qu’est l’os ! Sentant venir le buzz sur ce titre, la prod’ a vite fait de brandir un trompettiste plus glamour que Dutour sous les spotlights et sur les pochettes de disques : Borelly. C’est ce brigand à paillettes qui passera à la postérité et au tiroir-caisse. Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

Qu’on se le dise : l’automne n’aura pas ma peau. J’ai sorti ma tenue d'invincibilité. Le 22 septembre, et même le 23, ne nous drapons pas dans nos certitudes, mais plutôt dans un plaid ou dans un vieux pull. Au coin du feu comme dans une pub 70's, pumpkin spice latte fumant, on réécoute Joe, Toto, Guy, "Cosy" fan tutte. Et les nouveaux podcasts Radio Rectangle bien sûr.

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