Gin’nè pou pus*

// 12/06/2016

Par Catherine Colard

En mai, fais ce qu'il te plaît. En juin mets du gin dans ton bain.

Après la journée mondiale de la mini-jupe plissée soleil et la journée du macramé sous hypnose, voici bientôt revenue celle du gin. Je te parle ici de l’ex-nouvelle hype apéritive qui a envoyé le bon vieux mojito et le spritz se rhabiller au rayon gueule de bois has-been. Has-been toi-même si tu ignorais encore que le gin est désormais « une expérience » et se fête à la mi-juin lors d’une journée mondiale toniquement sponsorisée. Preuve, s’il en est, son succès pressé sur les roof-tops avec ou sans mur végétal, dans les pop-up zincs/barbiers éphémères et les enterrements de vie de jeunes blogueuses lifestyle occasionnellement alcooliques mondaines.

Il fut un temps, en Angleterre, bien avant l’ère James Bond, où un shot de gin coûtait moins cher qu’un verre d’eau potable et se dealait de préférence en pharmacies. Invite ton ami Google au coin d’un bar de recherches et tu en sauras plus. Il fut un autre temps, bien après la révolution industrielle et la genèse d’Abba, où « gin tonic » signifiait tout simplement « du gin avec du tonic dans le même verre ». Et éventuellement quelques glaçons.

Taxé comme « résolument sexy » depuis quelques étés éthyliques, le gin affole donc nos amis mixologues stagiaires fétichistes du nouveau vieux et fait bander les papilles des autres péquenots suivistes.

Samedi soir, à la faveur du Food-Truck Festival indoor improvisé dans un parking underground désaffecté, j’ai ginné avec un ami néo-hipster (j’ai beaucoup d’amis, je vous aime) arborant sur son t-shirt mou une citation de William Somerset Maugham (lui-même cité par Alain Souchon): « L’art pour l'art, c'est une formule qui n'a pas plus de sens que le gin pour le gin. »
Du gin pour le gin? Que nenni, Somerset ! Des centaines, des milliers de photos de cocktails arty à base de gin grisent nos Instagrams et Pinterests jusqu’au coma éthylirambique. Snobbe alambiquée et avant-gardiste, je me suis vite adaptée à la gin-mania de mes congénères d’un soir. Petite mise en jambes avec du twist dedans? Tâtons du classique « gin to’ » agrémenté d’une innocente rondelle de concombre insipide glissée en catimini entre 3 copeaux de BBQ par le joli docteur ès cocktails. J’osai fissa la happy hour qui voit double pour le prix d’une, avec une limonade maison au gin Mayfair et herbes sauvages de saison issues du projet collectif de potagers urbains du voisin graphiste freelance très sympa et occasionnellement tatoueur sauvage lui aussi. Soit. Cocktail sur lit de gin mâturé en fûts de baobabs miniatures du sud-est des Iles Maori. OK. Gin infusé aux jus de placenta de panda bio, gin de Binche sur lit d’agrumes et plumes d’autruche grillées dans une corne de zébu. Check!

« Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse », me susurre enfin l’autre allumé qui me concocte un dernier Vesper Old Fashioned Martini infusé à la graisse de citrouille juste avant minuit.

Aboli bibelot d'inanité sonore, amer et angoissant constat: qu’importe l’ivresse, le cocktail à la mode a toujours ce côté con pas si sensuel. Et j’ai perdu ma pantoufle de vair dans un verre à pied.


Gin’nè pou pus*
Traduction plus qu’approximative d’une expression wallonne signifiant: « je n’en peux plus du gin. »

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