Se faire la malle

// 24/04/2022

Par Catherine Colard


Cet été-là, nous revenions de Londres. Comme Tintin dans « L’Ile Noire », nous avions embarqué in-extremis sur la malle Ostende-Douvres-Ostende avec à nos trousses le lisse quotidien. Même que notre ferry se nommait « Prince Philip » et non plus « Prince Baudouin ». Je crois me souvenir que c’était alors l'une des dernières traversées pour cette énorme malle flottante brinqueballante à bord de laquelle tout passager un peu rock and rollé a vomi ses tripes une fois au moins. Godverdomme.

C’était le début de la fin des vacances. Des vacances incandescentes que nous prenions plaisir à étirer ensemble du bout des doigts comme un élastique à cheveux jusqu’à sa rupture dans un grand clac. 
S’en jeter un dernier en douce au café de la gare d’Ostende. Il est tôt et ce matin-là, de rares oiseaux prolongeaient, eux, la nuit. On pense à « Nighthawks » d’Edouard Hopper dans ce décor Art nouveau comme les affectionnait la chic et désuète Ostende. Le temps se serait-il arrêté ici ? Pause.

Accoudé à la table voisine, le personnage le plus mystérieux du tableau. Un profil au scalpel, pensif, qu’oblitère une longue mèche de solo gigolo. Il semble interroger son verre à trouble fond mi-vide mi-plein mi-figue mi-raisin dans la lumière jaunâtre. Qu’attend-il ? Déserter le clair-obscur ? Se refaire la malle dans ce strict costume de dandy joliment fripé ? 


Plus tard, Oostende bonsoir. L'atmosphère est moins théâtrale. Plus cinématographique, dans l’intimité de ce wagon, face à face sur nos banquettes vertes autocollantes. Vers Bruxelles-Midi. Il est midi, précisément, le soleil allume des petits grains de sable dans ses grands yeux bleus d’enfant effervescent et sur nos jeunes peaux dorées par les bords de mer. Nous devisons de clochards de luxe et de chansons et rions avec gourmandise, bégayant de fatigue, entre deux paysages aussi flous que nous.
En un tour de tango, il a disparu derrière un nuage de poussière argentique, happé par le quai et, peut-être, un autre café de gare.


Bref. On a tous en nous quelque chose d’Arno ("comme le fleuve").


Photo ©Lara Herbinia (Cirque Royal, 2017)

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