Rendez-vous au Bar de l’Estacade

// 06/05/2020

Par Catherine Colard

Aujourd’hui, le Bar de l’Estacade était un peu vide. Tu te souviens de ce bar où l’on passait des samedis après-midi heureux à siroter des menthes à l’eau en écoutant le temps qui passe ?

« Dans un coin perdu de la ville, près du canal, se trouve le bar dit « de l’Estacade », face au Ciné Rialto. Accoudé au bar, Stéphane Dupont raconte les aventures des habitués. Dimitri, le fils de l’ouvreuse du Rialto. Jean-Marie, le fan d’Elvis. Monsieur Hubert, le pêcheur. Grenadine, la jeune femme qui boit toutes ses consommations à la paille… »


Le chat est parti vers d’autres troquets sans doute. Il faut dire que le quartier a bien changé depuis toutes ces années, rénové de fond en comble malgré la rébellion de ses habitants et des meubles bigarrés du bar. Même la fameuse moche galerie commerçante qui a remplacé le cinéma a fermé ses portes, pour quelques jours encore.

Le café du samedi a rendu l’âme, dirait-on. Mais cette petite odeur de vieux marc remet en route la machine à imaginaires. 
C’est comme ça que j’aime appeler ma radio. Celle qui me parle quand elle va au plus près des gens, des voix et des sons.

Stéphane Dupont, à gauche, aux côtés de l'un de ses ingénieurs du son, Pascal Vossen - © Tous droits réservés RTBF


Comme c’est étrange. Soudain, des pas familiers retentissent sur le trottoir. Une porte claque. Il entre un peu de fraîche dans le bistro déserté. On l’entend... 



Ce soir, Stéphane Dupont a fait un petit crochet par le zinc, avec son beau micro poilu, pour capter et conter une fois encore l’âme et les ondes des lieux. Une dernière balade entre le canal et le Rialto.

L’air de ne pas y toucher, notre promeneur radiophonique dégaine une pièce de quelques francs belges. La glisse dans la fente du monnayeur. Puis enfonce délicatement quelques touches. Le mécanisme se dérouille comme par magie. Le premier 45 tours de la sélection fait un joli « ploc » en tombant sur le carrousel à musiques.




La danse sera émouvante autant qu’éclectique ce soir. Un peu étrange aussi, comme la voix lente et si curieuse de Stéphane. Sont convoqués dans ce dernier épisode du feuilleton, via les sillons du vinyle, quelques invités de marque. Des sensations. Des souvenirs. Evidemment.
Jean-Marie, le fan d’Elvis, ne lui en voudra pas longtemps. 



Après La Dolce Vita de Christophe, évidemment dans le jukebox, tourne une Ritournelle signée Sébastien Tellier. Avec ce beat pas si afro, cette fois, de Tony Allen, dont la sensualité torride a dû aider à faire rentrer ce grand disque de plus de 7 minutes 30 dans la satanée machine à remonter le temps. 



En parlant de machine, c'est The Man-Machine de Kraftwerk qui déboule dans notre Electric Café. Tout l’album. Le hiératique Florian Schneider est aux manettes de l’Organisation. Pionnier de la musique électronique et du vocodeur, le pré-influenceur de la pop moderne en cravate sombre avait pourtant bien tenté de préserver le canal devant le café en produisant Stop Plastic Pollution avec notre ami Dan Lacksman de Telex. 

Un voisin.


V2 Schneider
(dixit Bowie) vient de prendre l'ultime Autobahn et passe le clavier à Dave Greenfield des Stranglers.

Le son si particulier de mon adolescence, cette touche d’humour provocateur, ce charme insouciant je m’en fous de nos looks improbables. 
Mes coiffures déjà hirsutes, souvent signées du bout des ciseaux et chiffonnées par l’incroyable douceur punk made by Césa(rina). 


Sur le bar, côtoyant quelques madeleines et des oeufs durs, traînent un cheveu, un poil de chat, une paille, une baguette magique, un ticket pour la prochaine séance du Rialto, une goutte d’eau salée…
Et une voix qui les raconte dans ma radio.
Quelque part dans la ville, un Midnight Summer Dream.
 Rendez-vous au bar de l'Estacade.



"Lors de la création de Radio Rectangle, Stéphane a été un des premiers à nous soutenir, peu avare de ses conseils précieux. C'était un fameux personnage, amateur de pop culture et de sound design. Il était drôle et intelligent, et parfois zarbi comme ses émissions. Je l'aimais beaucoup. Rest in peace mon ami." (Benjamin Schoos)


A écouter ici le sublime mix de Bernard Dobbeleer en hommage à Tony Allen.

Illustration Benjamin Schoos

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