Dali sur l’ongle

// 29/02/2016

Par Catherine Colard

Liège. Belgique. Gare des Guillemins, dite Calatrava. Bien, bien loin de celle de Perpignan, l’ensoleillé « centre cosmique de l'univers » selon Salvador Dali. Je sors du vernissage de « De Salvador à Dali », l’expo dédiée au fantasque Catalan tant attendue ici, installée pour quelques mois dans cette drôle de gare belgo-espagnole. Pas mordue, je médite en scrutant mes ongles rongés par le doute. Ma pose vernis ressemble à du Klein bourré. Mais en rouge et avec de la texture effet 3D moche. Vous visualisez le chef d’oeuvre en péril avant séchage express? Les hommes ne savent pas pourquoi. Même si j’en connais qui font ça très bien.

A savoir que ma fibre artistique est aussi épaisse que mon pinceau et ma patience lorsqu’il est question d’étaler sur mes griffes félines deux couches de peinture tout en répondant à des mails sans avoir l’air d’y toucher. Sauf que ça touche les touches. Enduire de carmin d’aussi petites surfaces s’avère pour moi plus mortifère qu’un brunch à Koh-Lantah ou chez Exki. Les doigts dans le nez? N’est pas Dali qui veut.


Et pourtant. Un jour un peu olé olé où j’étais allée accueillir Salvador aux Guillemins, Dali me dit: « L’arrivée à la gare de Liège est toujours l’occasion d'une véritable éjaculation mentale qui atteint alors sa plus grande et sublime hauteur spéculative dans le nail-art. J’ai eu à la gare de Liège une espèce d'extase cosmogonique plus forte que les précédentes. J'ai eu une vision exacte de la constitution de l’univers. »

Nous y voici. Ce soir-là, grâce à Salva, j’ai découvert l’univers décalé et fascinant du « nail art ». A priori, et je suis polie, ces fresques ongulaires délirantes me rongent le moral. Pourtant, plongée dans une constante introspection et une analyse méticuleuse de mes moindres pensées, je me posai quelques questions ultimes et bienveillantes sur cette discipline. Dans ce monde désincarné tout triste et plein de mycoses, les art naileuses vont-elles sauver l’humanité? A un certain degré de maturité et de conscience, est-il raisonnable d’envisager son temps libre autrement qu’en se peinturlurant de l’art naïf fluorescent au bout de ses petits doigts potelés?


Si je n’en pince pas pour cette pratique, très en vogue chez les jeunes intragrameuses, les actrices porno et les cougars du Nord, reconnaissons cependant le doigté de ces égéries de la vie version licornes. Pendants girly des moines enlumineurs du Nom de la Rose, ces élues autodidactes de l’art plastique font en effet écho à toutes les formes d'expression populaires. Elles incarnent un véritable renouveau et entrent de plain-pied dans « cette confrérie des peintres et peintresses aux mains éblouies (...), les artistes de la grande espérance, les jardiniers miraculeux qui, pour le spectateur, font pousser des fleurs sur le béton. » (André Malraux)

Ô toi qui te gausses à me lire, me voyant basculer dangereusement du côté paillettes de la force, es-tu seulement capable de dessiner des cerisiers en fleurs et en perspective, un mini fac-simile des fresques de Lascaux ou un portrait en pied de Bob l’Eponge sur un ongle, que dis-je, sur dix ongles, de quelques centimètres, avec du vernis et un cure-dents?


Au vu de cette prouesse technique et artistique sans cesse renouvelée (c’est que ça pousse vite, les ongles en gel), j’ose déclarer ici: la guerre des cuticules n’aura pas lieu. Tout simplement parce que je crains de me mettre à dos la vaste communauté des nailistas. C’est qu’elles sont nombreuses ces gredines! Couarde, la seule idée de décéder lacérée par des milliers de griffes extra-longues et vengeresses ornées de mandalas sous MDMA, d’Hello Kitty alcoolisées ou de dauphins cubistes me fait défaillir.

Mystiques de la manucure créative, je vous aime. Et puis je déteste tirer sur les ambulances. Alors, les filles, évitons le clash à coups de top coat, de limes et de ciseaux. Gardez donc les bouleversifiantes photos de vos mains customisées pour vos pairs.
Les oeuvres d’art les plus précieuses sont souvent les plus discrètes. Des bisous.

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